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Journal de bord n°1 : en attendant Godot


Bienvenue sur le journal de bord de Journal en Cavale. Aujourd’hui, je vous parle de problèmes de confiance en soi et de blocages qui empêchent d’avancer.

Un plan de carrière plutôt clair

Depuis que j’ai obtenu ma licence de philosophie il y a trois ans, je me “cherche”. Je déteste cette expression. La première année, je suis partie en Australie. La seconde, j’ai fait divers jobs le temps de vraiment faire le point sur ce que je voulais faire de ma vie. Et ça a marché, j’ai entamé cette troisième année en sachant exactement ce que je voulais : créer un média indépendant. Idéalement un magazine papier.

Mes motivations ? Ecrire. Être indépendante. Pouvoir voyager. Quoi de mieux que le journalisme pour ça ? Mais hors de question de faire une école de journalisme. Parce que j’ai tendance à vouloir tout, tout de suite. Et que les internets regorgent d’exemples de parcours de gens qui ont réussi sans passer par les voies traditionnelles. Et aussi parce que je sais qu’une école de journalisme ne m’apportera pas ce dont j’ai besoin.

Moi, je veux créer ce média sur le tas. Tout simplement. Je veux que ma vie, mes expériences et mes rencontres servent de matière première à la construction de ma carrière.

Par exemple, pour les semaines à venir, le plan est assez clair. Je pars pour Compostelle, je marche pendant deux mois et je récolte un maximum de récits et de témoignages. Je filme, je prends des photos. Et en rentrant, j’en ferai quelque chose : au hasard, le premier numéro (numérique) de mon média. Avec un podcast pour l’accompagner. En parallèle, avant de partir, je termine la formation de rédaction web que j’ai commencée. De cette manière, en rentrant, je cherche des missions pour gagner un peu d’argent et éventuellement me faire de bons contacts. Puis j’avance sur le troisième roman que j’ai commencé, encouragée par la sortie du second prévue début août.

Sur le papier, ça le fait, hein ? Je veux dire, si je m’y tiens, si je continue d’écrire, si je fais ce qu’il faut, il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas, si ? Tout ça devrait forcément me mener quelque part. D’ailleurs, je le dis dans cet article.

Dans ma tête : l’endroit où les problèmes commencent

J’ai une liste sans fin de problématiques qui tournent en boucle dans mon esprit et me paralysent. Je vais les lister par catégories.

Je suis conditionnée par la société dans laquelle j’évolue

Quel scoop, n’est-ce pas ? C’est notre lot à tous. Pourtant, nombreux ceux qui sortent des sentiers battus sans avoir à se battre contre leur esprit récalcitrant. Et puis, ce n’est pas comme si je décidais d’aller élever des chèvres dans le Larzac, non plus.

Mais c’est peut-être ça, le problème. Je continue de faire les choses à moitié. Vouloir construire ma carrière sans passer par les voies traditionnelles mais tout en espérant obtenir un résultat similaire : un bon carnet d’adresse, une certaine notoriété dans mon domaine, un certain niveau de vie. Je ne veux pas devenir riche. Vraiment, ma plus grande ambition, c’est de pouvoir vivre de mon activité et de pouvoir voyager un maximum. Je ne veux même pas visiter un maximum d’endroits dans le monde ; je veux juste m’immerger dans différentes régions et voir ce que c’est que de vivre autrement. J’aurais peut-être dû faire des études d’anthropologie, comme ma sœur.

Quoiqu’il en soit, voilà où ça me mène : je suis régulièrement prise de panique vis-à-vis de mes décisions. Je n’ai aucune certitude que tout ça va fonctionner, et je pars de zéro. Vraiment de zéro. Et à l’heure où j’écris ces lignes, je ne suis pas bien avancée. Le temps passe, les mois défilent, bientôt un an que j’ai décidé de me lancer dans cette aventure et tout aussi longtemps que je suis paralysée.

La crise qui revient le plus souvent : je-devrais-faire-un-master-d’édition.

Là, je suis en plein dedans. Pour la 56ème fois en 6 mois. Et je crois (je dis bien je crois) que les raisons qui me donnent envie de reprendre des études ne sont QUE des réponses à des peurs. Celles-là aussi, je vais vous les lister.

J’ai peur de ne pas réussir à gagner ma vie

Comme je le disais, j’ai 25 ans. C’est l’âge où mes amis d’enfance se marient, font des enfants et achètent un appartement. Je n’aspire à rien tout cela aujourd’hui, pourtant ça me renvoie à une réalité que j’ai souvent du mal à accepter : je ne gagne toujours pas vie.

Dans ces moments-là, au lieu de me dire “Au boulot, ma vieille ! À ton clavier !”, je me dis que je me plante complètement. Qu’il est temps d’arrêter les conneries, de faire un fichu master et de décrocher un emploi. Et une fois seulement que j’aurai fait mes preuves dans un métier, je pourrais jouer à prendre mon indépendance et essayer de créer un média.

C’est vrai, après tout, toutes les histoires de reconversion fantastiques qu’on voit partout, ce sont bien des reconversions. Moi, ce que je vois, ce sont des gens qui ont quitté leur CDI de cadre en entreprise après 15 ans pour devenir créateurs de savons artisanaux. Pas des gens partis de rien, qui ont arrêté leurs études à BAC +3, pour se jeter dans le vide.

Si c’est votre cas, je vous en prie, manifestez-vous !

La question “Est-ce que je peux vraiment partir de zéro et m’en sortir ?” est plutôt légitime, du coup, non ?

Quoiqu’il en soit, pendant ce temps-là, je n’avance pas.

J’ai peur de me sentir seule dans ma vie professionnelle

J’aime les gens. Je m’attache extrêmement vite et extrêmement fort. J’aime faire de mes groupes d’amis des petites familles. J’aime organiser des choses pour qu’on se retrouve le plus souvent possible.

Depuis que je suis partie pour l’Australie il y a 3 ans, je suis plutôt isolée. J’ai ma famille, mon chéri, et de très très bons amis éparpillés aux quatre coins du monde et de la France. Mais plus de groupe d’amis. Personne à retrouver tous les samedis après-midis pour vider mon sac. Et je ne veux pas de cette vie-là. J’ai peur que ce soit ce qui m’attend en me mettant à mon compte uniquement.

En effet, comment concilier vie sociale et activité freelance nomade ? Il y a sûrement dix moyens différents de le faire. Mais sur ce plan là aussi, je pars de zéro. Je n’ai pas grand chose à quoi me raccrocher. Je n’ai pas vu les amis avec qui je parle régulièrement sur Whatsapp depuis deux ans, parfois plus. Ils me manquent. Et je m’apprête à m’investir corps et âmes dans une “carrière” qui ne va pas m’apporter de collègues à rencontrer et avec qui discuter à la machine à café. Ca me fait peur. Et comme je vais beaucoup bouger, comment nouer des liens solides et durables ?

J’ai peur de regretter

J’ai peur de regretter. Si une phrase devait résumer ma vie et mes décisions, ce serait celle-là. J’ai la chance incroyable d’avoir grandit dans l’idée que je peux tout faire, devenir qui je veux. D’abord par mon lieu de naissance, la France, mais aussi par ma famille. C’est le plus grand luxe qu’un humain puisse avoir, j’en suis absolument convaincue.

Et je pousse le vice à l’extrême depuis 3 ans : je fais tout, absolument tout ce que je peux pour avoir le moins d’attaches et d’engagements possibles, et avoir le choix. À tel point que je suis arrivée exactement au point que je souhaitais : je peux partir marcher pendant des mois sur un coup de tête. C’est ce que je vais faire. Et en rentrant, je pourrai repartir aussitôt sur un coup de tête. Ma seule limite (et pas des moindres) : mon compte en banque.

Je suis face à une page complètement blanche où tout reste à écrire. Et, semblerait-il, je suis ce qu’on appelle une “multipotentielle” : tout ce qui me fait envie me semble possible.

Créer un magazine. Être journaliste autour du monde. Faire un PVT au Canada. Faire le PCT aux Etats-Unis. M’expatrier en Angleterre. Diriger un hôtel ou une auberge de jeunesse. Faire de la poterie. Créer un tiers-lieux. Vivre de mes romans. Monter ma maison d’édition spécialisée.

Or, choisir c’est renoncer. Dans une certaine mesure. Je pense que la position dans laquelle je me suis mise est la plus délicate pour une multipotentielle. Dans l’immédiat, je n’ai aucune contrainte à laquelle répondre. Pas de diplôme à obtenir pour faire le métier de mes rêves ou de loyer à payer, pas de bouche à nourrir. Je n’ai même pas un CV à remplir puisque je veux devenir mon propre patron. Par conséquent, je ne m’inquiète même pas qu’il y ait une période “d’inactivité” de plus en plus longue dessus. En somme, je n’ai rien pour guider mes choix. Je suis en roue libre. Je suis consciente du privilège incroyable que ça représente et ça me fait même culpabiliser, mais on n’a pas été éduqués pour gérer ce type de situation.

Donc j’ai peur, si je fais ce master, de regretter de ne pas m’être réellement donnée la chance de pouvoir prendre un maximum de risques au moment où c’était possible (c’est-à-dire maintenant). Et si je ne fais pas ce master, j’ai peur d’échouer dans mes projets et de me retrouver dans une situation délicate dans quelques années. Je me dirais que j’ai été stupide de ne pas avoir profité de cette opportunité ; c’est-à-dire celle de faire des études supérieures à moindres coûts (quelle chance nous avons, en France !) et de “m’assurer un avenir“.

Si je fais un master d’édition, j’ai peur de regretter, quitte à reprendre des études, de ne pas avoir choisi de me spécialiser dans le tourisme et l’hôtellerie ou en psychologie.

C’est sans fin.

Et encore une fois, quoiqu’il en soit, pendant ce temps-là, je n’avance pas.

Le développement personnel nous fout en l’air

Je ne sais même pas par où commencer sur ce sujet.

Je suis la première à consommer beaucoup de théories “self help”. Alors, non, je ne lis pas des kilos de livres de développement personnel. Mais j’écoute le podcast Change ma vie. Et je lis aussi par mal de choses sur Medium, notamment Sergey Faldin (dont j’ai traduit un article ici).

Généralement, ça fonctionne instantanément. Et instantanément, ça veut aussi dire “pas sur la durée“. Sinon tout serait réglé depuis longtemps. Donc j’ai des dizaines et des dizaines de théories qui me rappellent que tout ça, c’est dans ma tête. Que, si j’y mettais un peu plus du mien, je pourrais facilement dépasser ces obstacles et construire la vie que je veux sans plus me prendre la tête. Or, savoir ça sans pouvoir l’appliquer, ça n’aide pas. Bien au contraire.

Des études ont déjà montré qu’à l’échelle de l’humanité, le développement personnel avait pris une telle dimension qu’il en était devenu dangereux. Cependant, à l’échelle individuelle, il peut être utile. À condition de ne pas vouloir “toujours plus”.

En somme, je dirais que le problème du développement personnel, c’est qu’il est chronophage. On a vite fait de passer des heures à lire des articles et des bouquins sur “ce qu”il faut faire pour réussir / être heureux / être épanoui / ne rien regretter” etc.

Toutes ces heures passées à être passif plutôt qu’actif. À imaginer plutôt qu’à faire. Avec ces lectures, on a l’impression d’avoir la solution à tous nos problèmes. On se projette à fond dans une vie idéale, comme si se la représenter suffisait à la faire exister. Mais quand on s’arrête de lire 5 minutes et qu’on fait un état des lieux de notre vie, on se rend compte qu’on n’est pas capables de tout changer en un claquement de doigts. Il en résulte un profond sentiment d’incapacité, d’échec, de ratage. J’en suis clairement la première victime, et il y a une raison à ça : c’est normal d’être obsédé par le fonctionnement de notre esprit.

Si j’écris également des choses qui pourraient s’apparenter à du “développement personnel” dans ma rubrique Vivre autrement, c’est parce que je reste persuadée qu’il y a du bon à en tirer. J’essaie de faire une synthèse de ce qui me semble être le plus utile : des idées simples qui reflètent une certaine réalité du monde. Et, surtout, qui déconstruisent des idées préconçues qu’on a depuis l’enfance. Vous ne trouverez probablement jamais d’articles fumeux du genre 10 routines quotidiennes à adopter pour vivre mieux sur Journal en Cavale.

Mais je pense qu’il faut distinguer le “développement personnel” de la simple analyse de la vie et l’esprit. Et je crois que c’est ce que fait Sergey Faldin, qui est le premier à recommander d’arrêter de lire ces conneries et de se retrousser les manches sans plus se poser de questions pour passer à l’action.

Tout s’effondre tous les quatre matins

Selon les théories auxquelles je me raccroche, voilà ce que je dois faire : persévérer. Y croire. Agir avant d’être prête. Me lancer sans réfléchir. Et aussi mettre de côté les peurs, cesser de vouloir tout contrôler, lâcher prise, essayer des choses et voir où ça me mène.

En théorie, donc, je peux m’en tenir à mon plan initial. Mais généralement, avant même que j’ai eu le temps de mettre des actions en place de manière durable, je fais une crise. Je l’appelle comme ça parce qu’elle revient très régulièrement et met mon univers sans dessus-dessous pendant 5 à 6 jours. Pendant cette crise, j’envisage de reprendre les études mais pas seulement : je remets en question mes envies les plus fortes. Est-ce que je veux vraiment bouger toute ma vie ? Est-ce que j’aime écrire à ce point là ? Suis-je vraiment faite pour une “vie nomade” ? Suis-je sure de ne pas vouloir m’installer tout de suite et fonder une famille ? Finalement, j’aimerais bien acheter une petite maison et avoir un chez moi, etc, etc.

Ensuite, il me faut quelques jours pour reconstruire des croyances solides auxquelles me raccrocher (je suis sur la bonne voie, j’ai pris les bonnes décisions, je n’ai pas besoin d’un master, je vais y arriver, j’en suis capable). À ce stade, ce n’est même pas de l’auto persuasion. Ca revient naturellement parce que, oui, je veux écrire. Je veux voyager, je veux bouger. Je n’ai jamais tenu en place, de toutes manières. Donc je me remets en action, je suis super efficace, j’accomplis tout un tas de choses, je me donne à 200% jusqu’à ce que j’ai un coup de pompe. À ce moment-là, je prends un moment de repos bien mérité. Et badaboum. Ca recommence.

Il suffit que je m’arrête une journée pour que tout bascule.

Il m’est arrivé, une fois, de lire que les multipotentiels sont souvent bloqués parce qu’ils n’arrivent pas à se cantonner à une voie, un choix, une décision. C’était effectivement mon cas pendant ces précédentes années où je ne savais tout simplement pas quoi faire de ma vie. Je n’arrivais pas à me décider.

Là, c’est différent, je suis décidée. C’est autre chose qui déconne. Je ne pense pas que ce soit uniquement mes peurs, celles que j’ai listées là-haut, qui m’empêchent d’avancer. Il y a autre chose. Je ne crois pas en moi suffisamment fort. Je n’ai plus confiance en mes choix.

Peu importent les crises, l’objectif final reste le même. Créer mon média indépendant, gagner ma vie en écrivant sur le monde, la société. Voyager. C’est le meilleur moyen à mettre en œuvre pour parvenir à cette fin qui me pose problème. Cette interrogation là n’a pas de réponse et mon cerveau refuse de faire avec cette réalité.

J’ai besoin de quelqu’un ou quelque chose pour m’indiquer quoi faire. J’en arrive à envier ceux qui ont la foi, ceux qui croient en une forme d’intelligence supérieure qui donne du sens à tout ça.

On dit de Beckett qu’il était obsédé par le contrôle, et qu’il aurait aimé savoir dans quelles théâtres seraient jouées ses pièces avant de les écrire. Quant aux héros d’En attendant Godot, ils parlent, ils pensent à la vie, à la mort, à leur condition d’être humain, ils oublient, et ils n’agissent pas.

C’est ce que j’ai l’impression de faire depuis des mois. Je parle, je parle, je pense à la vie, à la mort, à ma condition d’être humain, puis j’oublie (je rechute), et je n’agis pas.

J’attends Godot.

Déjà essayé. Déjà échoué.
Peu importe.
Essaie encore. Échoue encore.
Échoue mieux.

Samuel Beckett

Pourquoi je m’apprête à faire le chemin de Compostelle

Après trois années passées à tergiverser, sans réel accomplissement, mon estime de moi est au ras des pâquerettes.

Et encore, objectivement, je ne pense pas qu’on puisse dire que je n’ai rien accompli. J’ai écrit deux romans, tous les deux sous contrat d’édition. J’ai fait un PVT en Australie et j’ai fait le tour du pays en voiture, ce qui a été une expérience incroyable.

Mais tout de même, aux yeux de la société (parce que c’est bien de ça qu’il s’agit, lorsqu’on parle de confiance en soi), je n’ai pas franchement avancé.

Or, sur le chemin, je n’aurai que ça à faire. Avancer. Sans me poser de questions, sans hésiter sur la route à prendre. Je vais devoir persévérer pour arriver au bout, malgré la fatigue, les douleurs physiques et les interrogations du genre “qu’est-ce que je fous là, déjà ?”.

Accessoirement, c’est aussi une manière de me mettre à l’épreuve pour savoir si je serai capable de faire le PCT un jour. Mais dans l’immédiat, l’urgence est de me prouver que je suis capable d’aller au bout de ce que j’entreprends. Le chemin sera une sorte de métaphore, d’incarnation de ce qui m’attend pour la suite : des efforts à fournir tous les jours, sans arrêt, sans réelle certitude que j’arriverai au bout mais où ma seule chance de réussir reposera sur ma volonté et ma détermination. Alors si après deux mois de marche je ne retiens pas la leçon, je ne sais pas ce qu’il me faudra.

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